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Ô cameroun !
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16 octobre 2017

Cameroun : État de crise politique, comment on en sort?

Par Dr. Stéphane BOBE ENGUELEGUELE

 

bobéé

La société est bloquée. Ce constat brutal ne surprendrait que les plus naïfs, ceux qui s’imaginent que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes, et qui croient que l’horizon s’éclaircira. Il suffit pourtant de se pencher sur le pays réel, et d’observer les forces qui le traversent, pour réaliser que le Cameroun se trouve dans une situation critique. Beaucoup de nos compatriotes travaillent en vue d’un avenir meilleur pour leurs enfants : mais leurs efforts souvent colossaux sont vains, car l’État est malade, et sans État fort les dynamiques du progrès et du changement sont impossibles.

Au cœur de l’État, quelques acteurs sont encore mobilisés par l’intérêt général, et pénétrés d’un idéal du Bien Commun. Comment ne pas ici penser aux forces de défense et de sécurité mobilisées tous azimuts face à des menaces de plus en plus nombreuses et protéiformes. Mais le pays est comme paralysé, plongé dans une atonie sur laquelle tous s’accordent aujourd’hui. L’exacerbation de la crise anglophone a entraîné une radicalisation des positions, malgré les initiatives nombreuses et volontaristes engagées pour traiter un problème dont la réalité était pourtant contestée. Nous sommes indiscutablement en présence d’une crise, non pas la crise du régime finissant qui est à la tête du pays, mais une crise plus profonde encore.

Ce n’est même plus la crise de la gouvernance dont les acteurs de la société civile et les organisations internationales ont, années après années rappelé les dangers. Le Cameroun traverse une crise de son système politique. La capacité du système politique à réguler le fonctionnement de la société se mesure à son aptitude à coordonner les logiques sectorielles. Car une société se caracté- rise par l’existence de plusieurs secteurs (ou champs sociaux), se distinguant par des fonctions sociales, des logiques de fonctionnement propres, des modes de sélection et d’exclusion des acteurs, et des modalités de régulation des luttes pour le leadership sectoriel. Il existe ainsi autant de secteurs que de fonctions sociales différenciées : armée, justice, éducation, sport, santé etc... Dans une configuration normale ou routinière, le politique auquel est impartie la régulation sociale, réussit à réaliser la coordination multisectorielle, en imposant une problématique légitime. À l’inverse, la crise politique se caractérise par l’occurrence de mobilisations multisectorielles, et l’incapacité du politique à les coordonner, en ramenant l’ensemble dans un fonctionnement normal ou routinier.

La crise systémique ne se mesure pas seulement à la multiplication et à la juxtaposition sectorielle demandes et problèmes non traités. La crise politique est l’incapacité du système politique à coordonner les mobilisations multisectorielles, émergeant de façon plus ou moins simultanée, et à réintroduire un fonctionnement normal et harmonieux entre les différents segments de l’espace social. L’année 2017 s’est ouverte par des mobilisations autonomes de familles victimes directes ou indirectes de la catastrophe d’Éséka, et des actions collectives de médecins, qui n’ont été momentanément neutralisées que par le recours à des procé- dures brutales de mutation d’office des agents concernés.

Des mobilisations traversaient aussi le secteur de la justice, marqué par des abcès de fixation des professionnels autour de l’application du bilinguisme devant les juridictions, la promotion de la Common Law dans la partie anglophone du pays. Le secteur des transports était travaillé par des mobilisations relatives au fonctionnement de la compagnie Camairco. Accident de la circulation à répétition conduisant au décès de plus de 100 camerounais en août 2017. Les secteurs de l’art et de la culture, de l’éducation sont traversés de mouvements similaires.

Le monde des affaires est secoué par des mouvements identiques et le GICAM vient de questionner l’aptitude de la stratégie économique du gouvernement à lever les défis du moment. Ces mobilisation dépassent toujours la dynamique de fonctionnement systémique des champs concernés : il ne s’agit pas seulement de demandes qui émergent en vue de leur satisfaction par le politique. Ces mobilisations questionnent l’aptitude du centre politique à imposer une vision susceptible d’intégrer les logiques sectorielles. À l’exact inverse, l’État est dans le déni : tout va bien, circulez.

Pas un jour ne passe, au vrai, sans qu’émerge une mobilisation nouvelle, discutant le fonctionnement sectoriel et plus globalement, la capacité du politique à intervenir efficacement. Ces mobilisations ont même réussi à mettre en cause directement la légitimation suprême de ce Pays : l’Unité Nationale. Optant pour le pourrissement et la répression face à la question Anglophone, le pouvoir n’a pas anticipé la radicalisation des modérés dont certains questionnent maintenant ouvertement la pertinence du cadre unitaire de l’organisation de l’État.

Tout récemment, des notables de la région du Centre ont adossé une revendication politique à l’ethnicité, démontrant que le référent de l’unité nationale n’a plus prise certaine sur les discours, les logiques et les répertoires d’action. On pouvait penser que la création de la Commission pour la Promotion du Bilinguisme et du Multiculturalisme opèrerait comme un signal fort, réalisant une remise en routine du fonctionnement social. Mais les clivages se sont accentués sur la question anglophone, et si nous n’y prenions garde, les rives de l’unité vont sans cesse être rongées par le flot des extrémismes de tous bords.

Les nantis continuent de posséder l’essentiel de la richesse nationale, alors que l’extrême pauvreté est désormais une réalité incontestée. Le luxe le plus insolent et dispendieux côtoie la précarité des conditions d’existence du plus grand nombre, privé d’un accès décent aux services de base. Le risque d’implosion n’est pas seulement lié à la fracture identitaire sur laquelle les extrémistes jettent des braises. Elle tient aussi à l’absence d’institutions inclusives capables d’assurer le relèvement du niveau de vie des populations, assurer une juste répartition des richesses, et améliorer le climat des affaires.

Cette situation est aggravée par l’atonie des pouvoirs législatifs et judiciaires, dont le fonctionnement doit être questionné. Combien de commissions d’enquête parlementaire sur les grands problèmes nationaux qui ont émergé depuis un an ? Que dire du spectacle insupportable d’audiences sans cesse renvoyées devant les juridictions pénales, ordinaires et d’exception, et des mis en cause attendant souvent en détention que justice leur soit rendue ? Les droits de l’homme bafoués, l’État de droit fragilisé. Et pourtant, la séparation des pouvoirs est un principe d’organisation du politique.

Un Parlement fort et une Justice audacieuse, sont des leviers d’un fonctionnement démocratique équilibré. Si donc le politique est en crise, c’est parce qu’il a perdu sa capacité à construire et faire vivre une vision du collectif et une représentation de l’avenir à laquelle tous adhèreraient. Le nez dans le guidon, le politique est réduit à une stratégie de pilotage de l’action étatique à la petite semaine. Le pompier court partout, pour éteindre les incendies qui s’allument.

Mais le pompier s’essouffle et il perd même de vue que le risque ultime pour le guerrier du feu, est la communication des foyers, laquelle rend alors le sinistre incontrôlable. 2018 est une année électorale exceptionnelle en même temps qu’une chance pour le pays. Les processus électoraux se traduiront par la remise en jeu des mandats de la quasi totalité des acteurs politiques. Il faudrait que 2018 ne soit pas une année électorale pour rien. Le pays a besoin d’un beau et grand débat sur son avenir. Il est vital qu’émerge une représentation des cadres de la pensée et de l’action publique que les camerounais veulent se donner pour demain. C’est la condition de la sortie de la crise dans laquelle nous sommes entrés, et qui monte en intensité.

On ne sort d’une crise politique qu’en parvenant avec succès à réarticuler les logiques sociétales éclatées. Cela signifie que la crise ne trouvera pas d’issue positive si n’était rétablie l’harmonie du fonctionnement social. Le Cameroun est à la croisée des chemins, étant confronté à un redoutable enjeu de légitimation : quel type d’État, pour quoi faire et comment ? quelle politique institutionnelle mener ? Comment réaliser l’adhésion de Tous à une vision partagée de la nation, tout en préservant l’unité ? 2018 c’est déjà demain et la situation est critique. 

bobéDr. Stéphane BOBE ENGUELEGUELE Avocat, Consultant international, Enseignant et spécialiste de l'analyse des politiques publiques.

http://www.foretiafoundation.org/wp-content/uploads/2017/10/Dr-Stephane-Engueleguele_article_Octobre-2017.pdf

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