Jean Pierre Loule, Directeur CIP SNH: « La donnée est le cœur de la recherche et de la production des hydrocarbures »
Jean Pierre Loule, Directeur du Centre d’Informations Pétrolières (CIP) de la SNH, l’unité qui gère la Banque des données pétrolières du Cameroun, en souligne l’importance.
La SNH a entrepris depuis une quinzaine d’années de rapatrier les données générées par l’activité pétrolière au Cameroun. Qu’est-ce qui explique que ces données aient été exportées par les opérateurs?
L’exploration pétrolière commence au Cameroun en 1947, donc avant l’indépendance. Il n’y avait pas de lieu de conservation des données générées par les activités d’exploration et de production (E&P). Il est donc compréhensible que les premières données historiques aient été emportées outre-mer. Par la suite, nous avons souffert d’un vide juridique mais également, de l’absence d’infrastructures adéquates pour les conserver.
Quel est le volume rapatrié à ce jour ?
Nous avons rapatrié un peu plus de 100 000 km de sismiques 2D et environ 13 500 km2 de sismique 3D ainsi que des diagraphies pour près de 900 puits.
Qu’est-ce qui explique le choix de ce type de données, sachant qu’il en existe d’autres ?
La SNH a donné la priorité au rapatriement des données digitales. Nous retrouvons là essentiellement des données sismiques et des diagraphies des puits qui ont l’avantage d’occuper peu d’espace. Nous avons réservé les données de puits, notamment les échantillons de forage, à une deuxième phase, car ces données sont très encombrantes et nous n’avions pas encore les locaux adéquats pour les conserver au Cameroun. Il faut savoir que les données de puits incluent des échantillons solides, notamment des déblais et des carottes de roches brutes qui peuvent atteindre trois mètres de long, ainsi que des échantillons liquides, comme des huiles prélevées dans certains puits.
Les données collectées depuis les indépendances sont-elles encore exploitables ?
Jean Pierre Loule
Elles sont exploitables aussi bien en ce qui concerne les données digitales que les données solides. Prenons l’exemple des échantillons de roches issus des forages : on y recherche entre autres, des organismes fossilisés, souvent depuis des centaines de millions d’années, qui permettent, par des analyses, de déterminer l’âge de la roche concernée et par ricochet - sans entrer dans les détails de la méthode utilisée - de statuer sur la possibilité de trouver des hydrocarbures. En ce qui concerne les données qui proviennent des détections indirectes, par exemple par l’envoi d’ondes dans le sous-sol comme c’est le cas pour la collecte des données sismiques, la qualité et l’utilité de la donnée s’évalue en fonction de l’avancement des techniques et de la technologie. Je peux vous donner l’exemple de Gaz du Cameroun, qui exploite le gaz du champ Logbaba. Ce champ a été découvert avant l'indépendance, par un autre opérateur. Lorsque Gaz du Cameroun a obtenu une concession sur ce champ, il a sollicité, hormis des informations sur les anciens puits, des données sismiques de 1979-1980 pour pouvoir les retraiter et ainsi améliorer l’imagerie du sous-sol avant de se lancer dans le forage de nouveaux puits.
En ce qui concerne la SNH, les données sont récupérées en l’état et conservées, ou améliorées par un traitement spécifique ?
Pour ce qui est des données patrimoniales digitales, la SNH les a récupérées dans leurs formats d’origine dans un premier temps. Par la suite, ces données ont été retranscrites sur des supports modernes et nous nous sommes débarrassés des anciennes bandes, qui ne sont plus utilisées aujourd’hui. Lorsque cela était possible, nous avons amélioré certaines données par des retraitements, notamment dans les zones où le besoin s’était fait sentir, car au fur et à mesure que la technologie évolue, vous pouvez améliorer vos données pour avoir une ‘‘image’’ plus nette du sous-sol. En effet, pour des besoins de promotion de ce que nous appelons blocs libres, nous devons aller vers les investisseurs potentiels et les convaincre du potentiel de ces zones de notre domaine minier en nous appuyant sur l’analyse des données disponibles.
Il y a également un avantage non négligeable en terme de gain d’espace….
Ah, oui ! Vous aviez à l’époque des bandes appelées neuf pistes, qui pouvaient contenir juste un mégabyte de données. Quand vous avez certaines de ces bandes à retranscrire sur des bandes modernes de 100 giga-octets par exemple, comprenez que vous allez partir d’un stock de peut-être 2000 bandes à une seule bande, qui va vous occuper un millième d’espace.
Qu’est-ce qui est fait une fois que les données sont collectées auprès des opérateurs ?
Pour les données digitales, nous avons des bases de données et chaque base de données a ceci de spécifique que les logiciels accommodent un certain nombre de formats. Il y a une base de données pour garder les données sismiques, les données de puits, les données de production, etc. Pour les données physiques, il y en a qui sont conservées dans nos salles d’archivage. Nous avons également des échantillons (carottes, déblais, boue de forage, etc) de 120 forages collectés chez les opérateurs actifs actuellement sur le domaine minier national, qui sont provisoirement stockés dans un magasin que nous louons chez Hydrac, l’une des filiales de la SNH. Selon les chiffres du CIP, la valeur des données recensées jusqu’ici est d’environ 10 000 milliards FCFA.
C’est énorme ! On aimerait bien savoir comment cette estimation a été faite ?
Cette estimation a été faite sur la base de ce qui a été généré comme données E&P au Cameroun depuis 1947. Nous avons par exemple inventorié environ 900 forages, réalisés à des coûts qui peuvent aller de 5 à plus de 100 millions $US par forage, parce que chez nous, il faut aller chercher les hydrocarbures un peu plus profondément que dans le Moyen-Orient par exemple. Le volume sismique est estimé à environ 13 500 km2 en 3D et 100 000 km en 2D. Nous avons pris un prix moyen pour aboutir à cette estimation.
Maintenant que la Banque nationale de données pétrolières prend forme, vous pouvez souligner son intérêt pour la SNH et, au-delà, pour le Cameroun?
La donnée est le cœur de la recherche et de la production des hydrocarbures. Elle permet de mener des analyses qui aboutissent à des stipulations sur la présence ou non d’hydrocarbures dans le sous-sol ou les fonds marins. C’est la donnée qui permet de prendre la décision d’investir ou de ne pas investir, ou alors de poser l’action qui sera la moins coûteuse ou la plus susceptible de rentabilité au final. C’est sa disponibilité qui permet d’attirer les investisseurs et partant, de garantir la poursuite des activités E&P. Ce que le Cameroun veut, c’est pérenniser son existence au sein des pays producteurs de pétrole et l’une des façons de le faire, c’est de s’assurer que nous avons des données de bonne qualité, qui sont accessibles et qui permettent à tout investisseur de prendre la décision technique qui s’impose. C’est à cela que la SNH travaille.
P o u v e z - v o u s estimer l’apport de la donnée dans une activité de recherche ou de production d’hydrocarbures ?
Il y a plusieurs études spécialisées qui montrent que les données contribuent pour 38% dans la compréhension du sous-sol. Si vous êtes dans un projet de développement, les données représentent 70 à 75% en valeur. Si vous avez un projet de production, les données vont contribuer à près de 60%. On ne peut pas trouver ou produire du pétrole si on n’a pas la connaissance du sous-sol. Savez-vous qu’à Doba, au Tchad, il y a un opérateur qui est resté des dizaines d’années, avant de conclure que la zone n’était pas intéressante. Un autre opérateur est venu et a procédé tout simplement à des retraitements grâce à l’avancée des technologies et des techniques. Il s’est rendu compte que le modèle géologique de son prédécesseur n’était pas le bon. Il l’a refait, a foré des puits, et nous sommes arrivés à ce que nous connaissons aujourd’hui dans le bassin de Doba. Tout ceci illustre l’importance des données. C’est l’intelligence qui découvre les hydrocarbures, mais cette intelligence doit être fondée sur l’analyse des données. Voilà pourquoi ces données doivent être fiables et de bonne qualité.
La SNH a entrepris la construction d’un Centre de stockage des échantillons des forages pétroliers et gaziers à Douala. Est-il à même de lever les obstacles qui empêchent la centralisation et la bonne conservation des données générées par les activités E&P?
C’est bien l’objectif visé, car ce centre a été conçu pour rassembler, dans les conditions requises, tout le patrimoine du Cameroun en matière d’échantillons de forages pétroliers et gaziers en un seul lieu et en même temps, pour permettre aux potentiels clients ou investisseurs de venir analyser des prélèvements sur place. Mais la vision de la SNH est aussi d’en faire un centre de profit.
De quelle manière?
Nous pouvons stocker des données E&P pour des tiers. À titre d’exemple, notre partenaire Perenco a repris les activités de Total, qui stockait ses échantillons de déblais de forage chez un prestataire en France. C’est un prestataire dont le métier est de stocker des données E & P contre rémunération. La conservation des données est un service qui pourra être offert par la SNH, y compris à des compagnies actives en Afrique centrale, qui n’auraient plus à transporter leurs échantillons de forages jusqu’à leurs sièges à Houston, à Londres ou ailleurs. De plus, nous pourrons réduire les coûts associatifs de l’Etat, qui supporte une partie des charges dans les concessions productrices dans lesquelles elle détient des participations.
Propos recueillis par Haouwa-Adji Garga Abdouramani